Texte de Marie Desjardins
Date de parution : 13 août 2019Il n’est jamais facile, sans doute, d’être l’enfant d’une star. Et lorsque cette star est une baleine dans un aquarium, comme l’est Johnny Hallyday en France, peut-on même arriver à respirer ?
David Hallyday, fils unique de Johnny, a été élevé par sa mère, Sylvie Vartan, accro à la discrétion en ce qui le concernait. Le garçon, un Lion né le 14 août 1966, a ainsi grandi aux États-Unis, plus précisément à Beverley Hills, en Californie, sous la tendre vigilance de sa grand-mère, une Hongroise épouse de Bulgare.
Le mix des origines est important, car David a un côté slave, sa fougue est un feu sous la glace alors que, pendant des années, il a tenté d’exister sous son célèbre père.
L’année 2018, en France, aura été plus que marquée, dans les médias, par la découverte du testament du plus grand chanteur de rock français – toujours inégalé. Le pays entier a appris que Johnny, dans cet énième testament rédigé aux USA, n’a rien laissé à ce premier enfant, ni à son deuxième, Laura, qu’il a eu avec l’actrice Nathalie Baye. La nouvelle a généré dans la presse et l’opinion un foutoir à tous points de vue. Les clans se sont aussitôt formés comme au temps de la préhistoire – tous crocs sortis – les uns pour Laetitia, la dernière femme seule héritière, les autres pour les enfants éjectés du royaume. L’année s’achève et personne n’a encore cessé de rugir à ce propos.
Une farce ? Une tragédie ? L’affaire prend l’ampleur d’une bouillie infâme.
Discret, à l’image de sa mère, David a gardé une attitude d’une remarquable dignité au cours de ces mois de lavage de linge sale en famille à la vue de tout un peuple, et en l’occurrence de toute la planète. Chaque journaliste a un avis tranché sur cette affaire d’héritage, prenant la part de Laeticia Boudou, ou encore celle des femmes de la première vague, Sylvie, puis Nathalie. La plupart d’entre eux soulignent qu’il est incroyable que Laetitia ait tous les droits sur ce monument national alors que David, pour ne citer que cet exemple, n’aura aucun mot à dire sur l’exploitation de l’image de son père dans les années à venir, alors qu’il lui a signé Sang pour Sang, l’album le plus vendu de l’inoubliable chanteur. Or lui-même est dans le milieu depuis l’enfance. Son tout premier souvenir, précise-t-il, c’est son père sur scène…
Depuis la disparition de Johnny, et tout au long de cette tourmente surmédiatisée, David s’est réfugié dans l’ombre, et vraisemblablement dans le travail, puisqu’il sortira son prochain CD, J’ai quelque chose à vous dire, le 7 décembre.
Ici au Québec, et en Amérique en général, on connaît peu la discographie de cet artiste, un compositeur faisant appel à des paroliers et imposant son style sans l’imposer.
Tout au long de sa vie, David Hallyday a en effet tenté de se construire le cul entre deux chaises, deux cultures, deux modes de vie, entre les États-Unis et la France au moment des vacances… Cela donne quoi comme influences, comme musique, alors que la voix du père gronde dans tout l’Hexagone et que celle de la mère fuse toujours à l’intention de ses premiers admirateurs ? David a un point en commun avec ses parents, et cela en dépit de son immersion américaine : il chante en français. Dès lors, il est coincé chez lui, du moins dans la francophonie. Mais ce n’est déjà pas si mal, puisque, comme ses parents, il a vendu des millions de disques.
Pour comprendre « Ma dernière lettre », chanson phare du CD annoncé, il faut étudier la vie privée. Ce n’est que tout récemment que David Hallyday s’est enfin confié à la presse au sujet de sa relation avec son père et toutes ces lamentables chicanes d’héritage. Il s’est exprimé très sobrement, livrant des confidences poignantes, racontant qu’il avait passé l’avant-dernière journée de la vie de son père chez son père, à Marnes-la-Coquette, à la façon d’un courtisan à Versailles. Pendant toutes ces tristes heures, il a attendu en vain son tour de voir le roi, et n’a pas une fois aperçu la reine Laeticia. Le staff massé autour de Johnny barrait l’entrée au fils, affirmant que le malade était trop faible pour le voir… En désespoir de cause, le soir, au moment de repartir, David confia une lettre à un infirmier, lui demandant de la remettre à son père… Le lendemain Johnny était mort et l’infirmier précisa à David qu’il n’avait pas réussi à donner la missive à Johnny…
« Ma dernière lettre » est une chanson remarquable, très réussie en dépit de quelques bémols, notamment en ce qui concerne une orchestration parfois pompeuse, couvrant la voix et masquant les paroles. David se déploie enfin dans sa spécificité, à savoir une alchimie envoûtante du velours de la voix de ses parents, puissance de Johnny, texture de Sylvie. Très beau. David continuera sans doute la course du père… dans des harmonies fort semblables, mais imprégnées de sa patte. Ainsi que l’affirme sa sœur Laura Smet, réalisatrice du clip de cet opus, cette chanson est le premier vendeur d’Amazon, avant le CD posthume de Johnny, qui arrive en cinquième position.
Le clip de « Ma dernière lettre » est fascinant à regarder, surtout lorsqu’on le compare à celui de « Pardonnez-moi », chanson du CD posthume de Johnny : un avatar de Laetitia y tient le premier rôle, le seul en vérité, récupérant jusqu’à la lie les images de la star apparaissant à diverses époques, dont celles appartenant à Sylvie, voire à Nanette Workman, alors que la Laeticia n’était pas encore née… Deux mots résument l’entreprise : affligeante récupération. De mauvais goût, il va sans dire. Le clip de David, également métaphorique, pétri de symboles très évidents, est une sorte de miroir des thèmes fétiches du père : loup, aigle, appartements somptueux, vues à couper le souffle – richesse et abondance. Et dans ce clip comme dans celui de Johnny (supervisé par Laeticia, son unique directrice artistique) une similitude incestueuse – qui est qui ? – on en arrive même à se le demander tant la façon de traiter les thèmes est jumelle. Étrange mixture que l’inspiration, à moins qu’il ne s’agisse de conspiration. Johnny et ses affaires ont pris des proportions trumpesques – démêler cela relève du cauchemar.
Il n’en reste pas moins que « Ma dernière lettre » est clairement l’une des meilleures pièces de David Hallyday, à découvrir, avec arrangements ou a capela.
Comme quoi la souffrance sert à quelque chose.
© 2019
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