Texte de Marie Desjardins
Date de parution : 2 juillet 2016Il y a 45 ans, le 3 juillet 1971, le rock perdait une immense figure avec la mort de Jim Morrison. Une fois de plus, le chanteur avait fêté avec sa copine, Pamela Courson, et surtout s’était injecté une des héroïnes les plus pures du marché – travaillée par la French Connection et distribuée par les soins du comte Jean de Breteuil dans quelques bars parisiens fréquentés par les stars, dont ce célèbre Américain qui, cette nuit-là, ne s’en remit pas. Marianne Faithfull, qui alors sortait avec le dealer, déclara des années plus tard que Jim, en dépit du rapport de la gendarmerie, n’était pas mort dans sa baignoire comme on l’indiqua, mais bien dans ce triste bouge où il rencontrait son fournisseur…
Peu importe.
Depuis tout ce temps, l’idole est vénérée. Au cimetière du Père-Lachaise, les fans fleurissent ou pillent sa tombe, tandis que d’autres affirment que Jim continue d’errer dans les rues de New York sous les traits d’un vagabond ressemblant étrangement au chanteur. Cheveux longs, barbe hirsute, arrogant et goguenard, le survivant est-il Jim ? C’est souvent le propre des êtres partis trop tôt – leur ombre flotte, leur silhouette surgit au détour d’une rue, quelques élus savent, eux, que la star a simulé le décès pour survivre, avoir la paix, faire autre chose…
Qu’avait fait Jim ? Il chantait, ça c’est sûr, et The Doors demeure l’un des bands les plus étonnants et complexes de toute l’histoire du rock, mais encore ?
Enfant (question de rappeler quelques passages de son fugitif destin à l’occasion de cet anniversaire), Jim était à coup sûr un contemplatif, mais également une fusée. Né en 1943 non loin de Cap Canaveral, en Floride, il connut en effet un parcours fulgurant – à l’image des vaisseaux décollant de cette base. Il n’y aura rien à l’épreuve du fils aîné de Steven Morrison, militaire et strict pratiquant. Lors d’un déménagement de la famille (le père est souvent muté), Jim est témoin d’un terrible accident. Au bord de la route, des Indiens agonisent. Cette vision bouleversante l’envoûte comme un sort. Il est convaincu que l’âme de deux de ces hommes s’est glissée dans son corps. Dès ce moment, il s’intéressera de près aux chamans, aux croyances amérindiennes et à ce mystérieux monde invisible dont, tout au long de sa vie, il tentera d’ouvrir les portes.
Pour comprendre.
Et dire.
Ce casse-cou (Jim a passé à deux doigts de la mort en fonçant dans une cabane alors qu’il faisait de la luge) se montre néanmoins introverti et tourmenté. Au collège, on ne peut pas ne pas reconnaître son exceptionnelle intelligence. Le quotient intellectuel de James Douglas Morrison a été évalué à 149. On pourrait donner la même note à son tempérament explosif. Jim dévore tous les numéros du magazine MAD et s’éprend du roman de Jack Kerouac, On the Road. Il vénère Elvis et Rimbaud, poète adepte du dérèglement des sens, de l’absinthe et des sensations. Il dessine et peint. Des gens en train de vomir. Des pénis géants. Toutes les épithètes lui vont – autant de lieux communs : beau, charismatique, étrange, rebelle et indomptable. Bien sûr, les filles craquent pour lui, pour ses yeux ensorcelants, saphirs, pour sa bouche pulpeuse. Mais il y a un prix à payer : Jim abandonne la fille du moment en pleine ville, lui prend ses chaussettes, pisse le long des trottoirs, éclate d’un rire démoniaque, hurle à la mort, rote bruyamment puis… murmure avec une irrésistible douceur. Son expression adorablement insolente excitera des millions d’admiratrices. Il a tout pour plaire, mais aussi pour indisposer les tenants de l’ordre et de la discipline, et ses parents, consternés par son look. Négligé et sale, Jim pue et s’en fout.
C’est peut-être un solitaire. De la graine d’ermite. Comme le vagabond de New-York.
En 1964 il s’inscrit en cinéma à UCLA. Le futur réalisateur Francis Ford Coppola y étudie. Jean Renoir et Josef Von Sternberg y donnent des cours. Le metteur en scène Claude Jutra s’y trouve au même moment. Jim se lie d’amitié avec Dennis Jakob, dit le rat. Lui aussi a lu tout Nietzsche et lui voue un culte. Sur la plage branchée de Venice, autrefois le lieu de prédilection de la beat generation, ils discutent et citent le philosophe William Blake : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie. »
Les portes…
La seule voie de la perception.
Pour l’instant Jim écrit. Sa poésie l’absorbe, mais aussi son film de fin d’année, un court métrage dévoilant sa psyché. Images d’Hitler et de ses armées, posters de Playboy couverts de fléchettes, hommes se droguant en regardant des films d’homos. Les étudiants sont choqués. Jim claque la porte et quitte l’université. Il ne reste plus qu’à nettoyer les portes de la perception…
Alors il fonde The Doors.
On connaît la suite – on pourrait y revenir.
Peut-être avancer que l’auteur d’American Prayer est certainement la plus cérébrale des rock stars, la plus intellectuelle, sinon la plus artistique – un Rimbaud après l’heure, un Gainsbourg puissance mille, un écrivain contrarié, un Bosch de la musique, un mystique moderne – un être sans compromis.
Jusqu’à la mort, héroïque héroïne.
The End.
© 2016
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